Ne pas survivre, vivre

Le 4 Août 2023, le meilleur ami de mon père m’appelle. Il est 21h, je suis au boulot. Depuis plusieurs semaines nous le savons fatigué, désorienté, mis sur le compte du stress au boulot, d’une déprime estivale.
Une grosse tumeur, au cerveau, logée très profondément.
Je sors avec mon père, Marc, sur un banc, il est sonné. Je viens d’être diplômée comme infirmière, j’ai fait un stage en neurochirurgie, je sais déjà. Nous n’avons pas de mot sur sa tumeur mais je lui parle du glioblastome, lui explique que cette tumeur est agressive, que l’issue n’est jamais bonne. Que cela ne reste qu’une hypothèse mais qu’il doit s’y préparer. Il a toujours été comme ça, à vouloir savoir les choses et à y faire face.
Mon père reste las, fume sa cigarette. Je crois qu’il comprend dès le départ. Je ne sais pas ce qu’il s’est dit à ce moment-là, comment il a fait pour rester si calme, si fort. Il me dit toute suite qu’il ne veut pas d’acharnement, qu’il veut rester digne, et que s’il n’y a rien à faire, il préfère profiter pleinement de chaque instant.
Hospitalisé à Marseille, il découvre la privation de liberté attenante aux hospitalisations. Il veut voir le vieux port lui, sortir de la Timone et ses couloirs glacés, moroses. Nous voilà donc parti au Vieux Port, je le mets dans la voiture, cathéter au poignet, marquant sa maladie. Il est si heureux, on se balade, allons au musée, mangeons au restaurant. C’est un sportif lui, aimant la vie, il ne supporte pas l’hôpital. Après deux hospitalisations et de régulières fugues pour visiter Marseille, nous voilà dans le couloir de la neuro-oncologie, nous sommes le 31 Août 2023. Nous attendons la consultation d’annonce, mais nous savons déjà. La tumeur est inopérable, mon père montre déjà des signes de paralysie du côté droit, il oublie des choses, il est parfois désorienté, il lui manque des mots. Il ne veut pas de chimiothérapie, pourquoi faire ?
Il sait que cette dernière va lui prolonger sa courte vie mais dans quelles conditions ? Rester enfermer à Marseille pour ses dernières semaines ? Hors de question pour lui.

Après un long discours sans nous laisser dire un mot, mon père annonce à la neuro-oncologue son souhait de ne pas faire de chimiothérapie. Des mots qui resteront gravés à vie dans mon esprit :
« alors il vous reste trois mois, et ça ne va pas être joli à voir »

Nous sortons, pleurons, et partons voir l’océan. Avant de partir, il veut voir l’océan, les vagues. Il est si heureux. Une fois rentrés, nous réunissons ses amis dans un chalet, nous lui faisons faire du parapente, monter en montagne comme il a toujours aimé. Le corps lâche petit à petit, déambulateur, fauteuil, lit médicalisé, manque de vocabulaire. Fin septembre, il ne peut plus s’exprimer, marcher, être autonome. Nous l’emmenons au restaurant, nager, se faire masser. Je m’occupe de tous les soins, aidée par deux de mes amis proches, car il n’y a pas d’HAD chez nous, pas d’aide-soignante. Les douches, les repas, les couchers, l’incontinence sont terribles pour lui. Se faire infantiliser par sa fille atteint réellement à sa dignité de père. Il reste cependant fier, sourit, profite, se sent en confiance avec nous. Quelle joie pour lui de rester chez lui. Tous les matins, il voit ses montagnes au réveil et cela vaut tous les sacrifices du monde. Il part le 16 octobre 2023, après seulement deux mois et douze jours de son combat, de notre combat.

Le glioblastome est d’une violence inouïe, d’une brutalité rare et on se sent souvent seuls et démunis. Il n’aurait pas voulu que je le pleure même si je le fais tous les jours. Il aurait dit de profiter de chaque instant et de travailler.

A tous les aidants, les malades, vous n’êtes pas seuls, prenez de la ressource dans tout ce qui vous entoure pour rendre de ce cauchemar quelque chose de supportable. Vous le méritez pour vos proches, pour vous et pour que vos souvenirs ne soient pas ceux du glioblastome mais de la personne que vous accompagnez, que vous êtes.