Parler de Mylène, c’est la faire exister

Mylène
Mylène

         Mylène était une jeune fille pleine de vie, pétillante, intelligente, toujours prête à aider son prochain. Elle était étudiante en première année de médecine, son rêve depuis toute petite. Elle était déterminée pour son avenir. Tout lui souriait. Elle est rentrée en première année de médecine avec l’objectif de réussite de son concours. Elle voulait devenir médecin légiste, chercheuse ou pourquoi pas maître de conférence. Elle a obtenu son premier concours de médecine mais pas à la hauteur de ce qu’elle souhaitait. Elle a donc décidée qu’elle rentrerait chez nous que tous les 15 jours pour se donner à fond dans ses études. Elle était de plus en plus fatiguée mais on mettait cela sur le compte de ses études. Et un we qu’elle était à la maison, en allant toutes les 2 chercher du pain je m’aperçois que sa jambe droite a du mal à suivre, elle traîne sur le sol. Son père et moi, nous lui imposons de rester à la maison pour consulter notre généraliste. Celui-ci nous envoie en urgence au CHD pour une imagerie. Mylène passe la nuit aux urgences et est prise en charge le lendemain en service neurologique. Elle passe une IRM et une ponction lombaire lui est effectuée. Elle est douloureuse, elle a mal de tête, elle vomit, elle ne peut plus sortir du lit, elle n’arrive pas à lever son bras droit correctement. Elle est épuisée. Le 3ème jour elle passe une 2eme IRM et on nous annonce une sclérose en plaque. Mylène est de plus en plus dépendante. A la demande de Mylène, à l’hôpital, je lui donne la douche. Mylène est figée sur le bain douche allongée sans pouvoir bouger. Je suis face à ma fille d’à peine 18 ans et demi, face à sa dépendance, face à sa nudité, face à son joli corps de jeune fille, face à son intimité. Je dois la laver comme lorsqu’elle était toute petite. Pour dédramatiser, ma grande fille d’amour me dit « t’as de la chance que je ne suis pas pudique ! »Mylène met tout en œuvre pour nous protéger. Je prends conscience qu’elle est plus ou moins paralysée du côté droit et qu’elle est devenue dépendante. On nous parle de suite d’une prise en charge en structure de rééducation et rapidement la Kiné vient prendre en charge Mylène.

Au 5ème jour d’hospitalisation, précipitamment une 3ème IRM est effectuée. On va plonger dans l’horreur, l’horreur de l’annonce d’une tumeur au cerveau. Une tumeur diffuse non opérable qui va la priver de toute son autonomie et de son indépendance. Quinze jours après l’IRM, Mylène est hémiparésique. Elle se déplace avec un déambulateur et avec un fauteuil roulant. Mylène garde son sens de l’humour en nous disant qu’elle à un déambulateur avant son papy.

Rapidement le traitement de chimio est mis en place. Tout va très vite, c’est violent, agressif. Le traitement ne fonctionne pas. Mylène perd la parole, la capacité de parler. Elle nous comprend et ne peut plus s’exprimer avec des phrases, dit quelques mots. On utilise une ardoise avec des mots basiques pour comprendre ses besoins primaires. Elle perd la vue fur et à mesure. Huit mois de maladie, de déchéance en escalade. Mylène est emprisonnée dans son propre corps.

Mylène va être hospitalisée d’urgence dans un état grave suite à une hypertension intracrânienne et une hémorragie cérébrale. Elle perd plus ou moins conscience, elle reste hospitalisée pratiquement une semaine dans un service dépendant des urgences. On se bat à ses côtés. Chaque jour des internes passent, et certains d’entre eux nous annoncent avec brutalité et un manque de compassion sa mort éminente. Cela est totalement inconcevable. Nous sommes 24/24 avec notre fille. Nous lui parlons, l’embrassons, la caressons. De la famille, nos amis, ses amis viennent lui rendre visite. Nous y croyons toujours à la vie. Contre toute attente du point de vue du corps médical, Mylène nous ouvre ses grands yeux bleus et essaie de nous parler. Malgré la perte de son langage Mylène sait se faire comprendre avec des gestes, en nous serrant la main, en levant le pouce ou son index pour nous montrer ce qu’elle veut. Nous sommes remplis d’espoir. Mylène va pouvoir aller en service oncologie et recevoir une deuxième ligne de traitement. Elle va rentrer à la maison pour un peu plus d’un mois pour retourner malheureusement à l’hôpital, pour les 2 derniers mois de sa vie. Ces deux derniers mois ont été si difficiles… Mylène était prise en charge en service adulte et non pédiatrique. Confronter à la maladie d’une jeune fille, les soignants étaient en difficultés pour l’accompagner, pour nous accompagner. Mylène occupait une chambre au sein du service oncologie dite « soins palliatifs ». Occuper une chambre pendant 2 mois a un coût financier, occuper une chambre en oncologie aussi longtemps est au détriment de patients nécessitant des soins pour prolonger leur vie. Dans le cas de Mylène nous avons ressenti de la part des soignants, du fait que cette maladie soit incurable, le fait qu’il n’y ait pas d’issu, que le seul accompagnement possible était la mise en place du protocole de la sédation lente et profonde. Nous voulions que Mylène puisse rester consciente en éliminant les douleurs. Nous avions la chance et la richesse que malgré le dernier IRM confirmant l’évolution de la maladie et d’un état d’inconscience que bien au contraire Mylène était toujours consciente et en communication avec nous. La maladie l’a tellement privé de tout, la seule chose qui nous restait entre nous, était cette relation, cette communication. Tout notre échange d’amour, c’est comme si le corps médical voulait nous en priver. Des multiples anti- douleurs lui ont été administrés toutes les deux heures, ce qui nécessitait la mobilisation régulière des infirmières de jour comme de nuit. A priori ce n’était pas la prise en charge habituelle du service.

On nous a dit qu’il n’y a plus rien à faire… Nous on s’accroche, on ne veut pas te laisser Mylène. Tu es consciente et tu communiques.

Le jour de tes 19 ans on t’entoure tous les 4 sur ton lit d’hôpital, on prend une photo. La famille passe. On parle les uns les autres de bons moments partagés avec toi. Tes amis t’envoient leurs pensées et des photos pour évoquer des souvenirs entre vous. Toi, tu ne peux plus nous voir, plus parler, on te tient la main, tu nous souris en réaction à ce qu’on te dit ou tu lèves ton pouce gauche pour nous dire que t’es ok. Tu as encore cette grande force. Il te reste 17 jours à vivre.

Quelle grande force notre grande fille d’amour. Tu n’as pas été médecin comme tu le projetais, mais patiente et confrontée au médical à une place bien difficile. Nous t’avons accompagné comme on a pu, on ne pouvait pas se résoudre à ton départ et encore moins en étant dans un état d’inconscience dû à la sédation. J’espère que ta fin de vie ou nous refusions la sédation ait pu emmener une réflexion à l’équipe de ce service d’oncologie dans le sens qu’il ne suffit pas d’un unique protocole de fin de vie morphine, hypnovel pour accompagner patient et famille. L’Hôpital se doit d’accompagner chacun dans son individualité, son désir, et dans le respect de fin de vie souhaité et non d’être formaté à un seul protocole pour tous. Aujourd’hui, un peu plus de 2ans que tu nous as quitté, j’ai peine à y croire. Tu nous manques tant. Toi qui avais tant de projet et d’amour à partager.
Notre grande fille d’amour,
On t’aime.

Ecrits du 15 février 2022, Journée internationale du cancer de l’enfant et j’ajoute, de l’adolescent et du jeune adulte
Sophie Renaudeau, maman de Mylène

Quand ce cancer est arrivé dans la vie de notre fille nous n’avons pas compris dans l’immédiat que c’était incurable. Nous avons eu peu d’explications. Personne ne nous a prévenus que ce cancer allait devenir invalidant, engendrant de multiples handicaps. Nous avons manqué dès le départ d’un accompagnement pour nous éclairer de ce que Mylène risquait de perdre comme autonomie. Du fait de sa majorité, Mylène a été prise en charge en service adulte, de mon point de vue cela n’est pas adapté. Les équipes n’étaient pas formées pour son accompagnement et le nôtre.
Mylène a réalisé de suite qu’elle n’en guérirait pas. Elle me l’a verbalisé. Du fait de ses études en médecine elle savait ce que c’était un astrocytome anaplasique .Nous pas du tout. Moi j’ai juste retenue une tumeur cérébrale pour autant je ne connaissais pas les conséquences. Aujourd’hui nous sommes face à nos questions. Pourquoi ce cancer ? Pourquoi si jeune ? Quelles en sont les causes ? Pourquoi les traitements n’ont pas évolué ? Ne sont-ils pas les mêmes depuis plus de vingt ans ? Ou en est la recherche ? Que fait le gouvernement ?
Merci à votre association pour votre combat dynamique. Le fait qu’elle soit constituée de patients, de familles et de soignants ceci est une force.